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Rencontre avec Philippe Samyn, architecte belge reconnu

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par Archipad
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Homme souriant à la caméra portant une chemise et un noeud papillon

Architecte, ingénieur civil des constructions, diplômé du MIT, Docteur en Sciences appliquées, Philippe Samyn est depuis des décennies un défenseur de l’environnement et des bâtiments recyclables.

Primés un nombre incalculable de fois, Philippe Samyn est l’auteur de près de 700 projets dont 250 ont été réalisés. Parfaitement intégrés dans le paysage urbain ou rural, parfois spectaculaires sans jamais être tape-à-l’œil, ses bâtiments traduisent une harmonie qui découle de la logique du concept et de l’équilibre des proportions. Il est également l’auteur d’ouvrages de référence sur l’histoire de l’architecture contemporaine.

Fondée en 1980, Philippe Samyn and Partners participe, avec ses filiales FTI, DAE et AirSr à tous les secteurs de l’architecture et de l’ingénierie du bâtiment.

Pourquoi êtes-vous architecte ?

Je suis né pour devenir constructeur. Ce qui m’anime, c’est le lien entre la géométrie et la matière. Aujourd’hui, j’ai un regard sévère sur mes erreurs du passé, j’ai l’impression de tout juste finir mon stage d’apprentissage et d’entrer enfin dans les choses sérieuses, d’autant que je ne dirige plus l’agence et que j’ai donc la possibilité de me consacrer au conceptuel.

Comment définissez-vous votre architecture ?

Si vous regardez ce que nous bricolons en tant qu’artisan depuis des décennies, il y a malgré tout une constante. Comme je suis animé par cette notion de construction, la durabilité et la pérennité des choses m’ont toujours préoccupé. Depuis quatre ans, j’écris un ouvrage qui est disponible en open source sur notre site. Cet ouvrage, alimenté par la fécondité de notre vécu quotidien à l’agence, est notre feuille de route pour l’avenir, ce qui nourrit de manière vigoureuse les projets que nous développons.

Ainsi, le texte que j’écrivais sur l’énergie m’a amené à lire l’ouvrage de Vaclav Smil, « Energy and Civilisation » publié par MIT Presse. L’auteur y fait une découverte qui, à mon sens, mériterait un prix Nobel : l’indice du développement humain est proportionnel à l’énergie dont il dispose. Vaclav Smil calcule la relation de l’indice de développement humain, selon la définition de l’ONU, en fonction de l’énergie consommée par un individu, relation qui se traduit par une courbe qui plafonne à 110 MJ – 30 MW consommés par individu par an. Cet indice de développement humain ne peut pas monter au-delà de 0,9. Donc, toute énergie supplémentaire consommée par un individu est un gâchis. Elle n’apporte rien à l’individu, pire elle l’affecte, lui et la planète. A partir de ce constat, j’ai imaginé une ville utopique, car j’aime concevoir des utopies, et d’ailleurs je construis, du moins en partie, une de ces villes utopiques en Chine. Imaginer des villes utopiques est tout sauf utopique car cela cadre la réflexion. Prenons une ville de 500 000 habitants en Belgique et calculons l’énergie qui leur est nécessaire selon Smil. Il suffit de l’entourer de 80 km2 d’ombrières photovoltaïques qui laissent la possibilité de cultiver en-dessous, d’ajouter un cercle autour de pompage et de turbinage pour stocker l’énergie dont vous n’avez pas besoin. Vous faites vivre ainsi 500 000 habitants autonomes en énergie et en nourriture. Or, l’énergie est au centre de tout aujourd’hui. L’objectif de mon ouvrage est de répondre à toutes les problématiques qui animent les projets que nous développons : comment faire pour se passer de ventilation mécanique par exemple ? J’invite les étudiants à le télécharger, à le commenter et à le critiquer vertement. Cet ouvrage, je l’écris comme si j’étais un explorateur dans la forêt vierge de la construction.

Quel est le titre de votre ouvrage ?

QuCoCoMa : QUoi, COmment COnstruire MAintenant ? Avec pour sous-titre, pourquoi ? Et c’est d’ailleurs ce « pourquoi » qui est essentiel. Le « pourquoi », c’est d’abord le but. Quels bâtiments perdurent ? Quelle est la durée de vie des bâtiments, pourquoi sont-ils construits, qu’est-ce qu’on en fait quand ils ne répondent plus à leur fonction première ? Réfléchir à tout cela est important. A quoi servent les constructions ? Il faut prendre du recul par rapport aux croyances qui perdurent dans la construction.

Je suis frappé de voir combien l’image passe avant la construction chez les architectes et parfois même les polytechniciens. Mon approche est tout à fait différente. Chez moi, le dessin est issu de la construction et pas l’inverse. C’est peut-être ma limite, mais c’est aussi ma grande force car nous arrivons à concevoir des bâtiments fonctionnels, pas chers, faciles à entretenir et beaux. Aujourd’hui, j’ai l’âge de voir certains de mes bâtiments détruits, non pas parce qu’ils sont laids, non pas parce qu’ils sont en mauvais état, mais parce que la dynamique de la cité a changé et que ces bâtiments en perdent leur sens, parce qu’ils étaient inclus dans des programmes trop spécifiques. Si nous voulons faire du bâti pérenne que l’on peut transmettre aux générations futures, nous devons faire des bâtiments relativement génériques : 12 mètres de profondeur maximum, 3 mètres du plancher au plafond avec des capacités portantes suffisantes. Et ça n’exclut pas la poésie ! Notre agence est installée dans une ferme de 1830. Quand nous avons acheté cette ruine, je me suis surtout empêché de détruire les murs vieux de deux siècles. Depuis 30 ans que nous y sommes, nos frais de maintenance sont quasi nuls. Le bâtiment était une ferme, aujourd’hui une agence, demain peut-être des logements. Ce bâtiment, nous pouvons le léguer à la société pour une tout autre fonction. L’ambiguïté entre la poésie architecturale et le caractère générique du bâtiment est ce que la sagesse nous impose.

Pouvez-vous revenir sur cette idée de l’image qui doit venir après la construction ?

Tout commence par l’animus du commanditaire. C’est le commanditaire qui fait la construction, pas l’auteur du projet. Sans un commanditaire avec une vision profonde, généreuse et humaniste, il n’y a pas de question à laquelle vous pouvez répondre. Ensuite, vient le genius loci, l’analyse du lieu sous toutes ses facettes, toutes les données du site. Si je prends l’exemple de la Maison administrative de province de Namur, un bâtiment révolutionnaire, un modèle de durabilité, pour lequel nous avons été primés cette année, nous avons consacré 8000 heures d’analyse préalable au site avec une vingtaine de spécialistes pour réaliser une étude aérodynamique, acoustique, pédologique, écologique, historique, météorologique. Ce n’est qu’après cette exploration du génie du lieu que nous avons pu commencer à répondre à la demande du commanditaire, une demande très claire par ailleurs.

Il faut rappeler que c’est tout un travail que d’être maître d’ouvrage. Pour de grands projets, le temps passé par le commanditaire, le maître d’ouvrage, pour définir une question est du même ordre de grandeur que le temps consacré à l’étude et à la conception par le maître d’oeuvre. Très souvent, dans les grands concours publics, les questions sont beaucoup trop floues parce que l’adjudicataire n’a pas conscience de l’importance d’être précis dans une demande. La suspicion qui nait dans ce genre de concours vient de là : le jury ne sait pas exactement ce qu’il doit juger car la question n’a pas été réellement posée. Pour revenir à la Maison de Namur, nous l’avons faite en bois parce qu’il y a des forêts à proximité, sur pilotis car c’est une zone inondable et parce que nous pouvons ainsi amener de la fraîcheur par en dessous en faisant passer de l’air sur des graviers humides. C’est ce que le site offre qui nous a conduit à des hypothèses constructives, à une morphologie, en réponse à la demande claire du commanditaire. L’image n’est que le résultat de cette réflexion. L’esprit des lieux donne l’impulsion initiale. Mais, l’architecte est aussi un artiste qui sait laisser parler les émotions, qui peut suivre une intuition. Tout n’est pas objectivable, loin de là, il y a beaucoup d’affects mais l’émotion doit être toujours tempérée par une approche constructive. Il faut se méfier terriblement de l’inspiration, toujours chercher la symbiose entre l’affect et la raison. Vous pouvez avoir des bâtiments poétiques qui ne répondent pas à la question intellectuelle que l’on se pose et à l’inverse vous pouvez avoir des bâtiments qui sont des réponses intellectuelles impeccables mais qui sont d’une tristesse affolante. C’est important de cultiver la tempérance, l’humilité. Nous devons donner une réponse juste à une question éphémère.

Mais vous nous avez parlé de votre recherche de pérennité dans la construction…

Ce qui nous ramène toujours au pourquoi. La plupart des architectes construisent des bâtiments qui sont par essence éphémère parce qu’ils répondent à une question trop fermée. Par exemple, j’ai conçu des aires d’autoroute en considérant qu’elles étaient les caravansérails du XXème siècle, ces caravansérails qui jalonnaient la route de la soie. En les concevant comme des lieux de vie, d’échanges, je donne à ces aires d’autoroute une poésie et la pérennité dont je parle car elles peuvent demeurer, conserver leur fonction quelle que soit l’énergie utilisée à l’avenir. Elles survivront à l’époque du pétrole. Je réfléchis de la même manière pour les gares intermodales car elles sont aussi des caravansérails. Les parkings ne disparaitront jamais de nos villes car nous aurons toujours des véhicules qu’il faudra garer, peu importe ce qu’ils seront. Il faut donc faire des parkings élégants qui s’inscrivent dans le temps. Je m’intéresse beaucoup à ce type de projets utiles auxquels nous n’accordons pas assez d’importance. Tout commence par le respect du territoire et par le sens des projets que l’on mène. Il y a plus de cinquante ans que je prône les villes verticales, que je suis convaincu qu’il faut construire à la verticale pour libérer les sols et c’est seulement maintenant que cette idée devient réalité en Chine. Il faut ré-imaginer la ville à partir des transformations qui s’opèrent aujourd’hui. Mais, je peux développer ces idées utopistes seulement parce que je suis connu en tant que constructeur, parce que j’ai gagné ma crédibilité sur le plan scientifique, architectural. Le prix à payer pour écrire une utopie est d’être très pragmatique.

On parle beaucoup aujourd’hui d’écoresponsabilité…

Nous revenons au pourquoi et au comment, car l’écoresponsabilité est d’abord dans le pourquoi. Il faut être certain que ce que l’on construit est fongible, qu’on ne sera pas obligé de le démolir. Tous ces immeubles nouveaux qui ont pollué nos villes et qui n’ont pas la portance pour être transformés en logement… La dérive de la construction, dont on se rend compte aujourd’hui, est née dans l’après-guerre parce qu’il fallait construire en urgence, avec les moyens dont on disposait à l’époque, parce que la guerre avait tout détruit. On a construit n’importe comment car nous avions une profusion d’énergie à disposition. C’était le règne de l’image et des théories inexactes. La théorie du nombre d’or de Le Corbusier est une connerie magistrale qui n’a aucun sens intellectuel car elle considère un espace à deux dimensions, et non pas à trois dimensions. Ces fausses théories, j’y ai cru comme tous les jeunes architectes, mais je me rendais compte que cela ne marchait jamais et je ne pouvais le comprendre qu’en tant que constructeur en me posant cette simple question : comment vais-je pouvoir construire ? Une partie du temps, je vis en Finlande dans une isba classée de 1910, construite en rondins de bois sur un rocher en granit par un architecte finlandais reconnu, Hjalmar Åberg. Elle a 110 ans et elle est comme neuve. J’admire l’intelligence de cette construction qui est pour moi la quintessence de l’architecture. La relation entre la matière et la géométrie, c’est cela la construction durable. C’est cette conviction résolue respectueusement impertinente qui nous anime : comment inventer des trucs impossibles qui tiennent durablement la route ?

Quelle est la place de la technologie dans vos projets ?

La technologie est ce qui nous permet d’aboutir au résultat visé : l’amélioration de la qualité de l’acier, le recyclage de l’aluminium, le verre extra clair… Mais, faire dépendre la vie d’un bâtiment de la technologie numérique, de la robotique, ce n’est pas raisonnable. C’est une évidence. Tout est question de compromis : vous pouvez avoir un confort temporaire bien sûr mais sa disparition ne doit pas mettre en péril l’économie globale de la construction. La construction, c’est quelque chose d’hybride, c’est du rêve, de la technologie, des artisans.

Si vous deviez me citer une réalisation que vous aimez particulièrement ?

Celle que je vais faire demain, celle que je n’ai pas encore dessinée. J’ai un regard très critique sur les projets passés. Cependant, j’aime beaucoup le Delta de Namur et la clinique « Sans Souci » de Jette parce qu’il y a là une magie. C’est un lieu qui rend heureux, qui apaise. Je ne sais pas pourquoi, ni comment, nait cette magie, mais elle est là. Tous mes projets, je les ai faits avec la même tendresse, la même obsession, le même engagement. J’ai le même amour pour tous, même pour ceux qui sont moins bien.

Nous vous invitons à consulter la liste des ouvrages de Philippe Samyn et à télécharger QuCoCoMa. Les différentes versions sont reprises sous le numéro de publication 1419.

Photographie : (c) Thierry Geenen

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