Vers des bâtiments neutres en carbone : quelles solutions ?
Pour faire face aux conséquences du réchauffement climatique, la France s’est fixé pour objectif d’atteindre la « neutralité carbone » d’ici à 2050 : c’est-à-dire atteindre un équilibre entre les flux annuels d’émission de gaz à effet de serre et les flux annuels d’absorption du carbone pour limiter le déséquilibre climatique. Or, le secteur du bâtiment représente un tiers des émissions nationales. Aujourd’hui, les émissions de CO2 du parc résidentiel en France atteignent un peu plus de 100 millions de tonnes par an, dont 33 millions émanant des logements neufs et 74 millions des habitations existantes. On ne peut certes pas arrêter de construire, mais les acteurs de la construction ont à trouver des solutions et changer radicalement la manière dont ils conçoivent les projets durables pour atteindre cet objectif zéro carbone vital pour nos sociétés.
Face à la nécessité de consommer moins et de s’adapter au défi climatique, architectes, ingénieurs et constructeurs réfléchissent à de nouveaux modes de construction plus écologiques, plus bas carbone, avec des matériaux biosourcés ou géosourcés.
Quelles sont les solutions crédibles et matures qui peuvent permettre d’ores et déjà à la filière du bâtiment de réduire son empreinte carbone ?
La démarche vers la neutralité carbone de la filière pourrait s’articuler autour de quatre solutions complémentaires.
La sobriété : une notion centrale dans la transition écologique du secteur du bâtiment
Loin d’être un appel à une mode de vie « régressif », la sobriété consiste d’abord à nous questionner collectivement et individuellement sur nos besoins et ensuite à satisfaire ces besoins en limitant notre impact sur l’environnement.
Avec le vieillissement de la population et le changement des structures familiales, le nombre de personnes au sein de chaque ménage a diminué, mais, dans le même temps, la surface des maisons a augmenté. Le parc de logement en France a augmenté trois fois plus vite (+ 76 % entre 1968 et 2013, selon l’Insee) que la croissance de la population (+ 28 %) et, selon une étude du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD), la surface habitable par habitant a également crû : chaque Français dispose aujourd’hui en moyenne de 40 m2, contre 23 m2 en 1970. Par ailleurs, ces logements sont aussi toujours plus confortables. Cette double augmentation se traduit par des niveaux de consommation de ressources et de production de déchets considérables.
Le défi de la sobriété dans le domaine de la construction est de faire mieux avec moins en optimisant les surfaces utilisées. L’idée est de passer d’une approche produit (le m² du bâtiment) à une approche service (la capacité à réaliser une activité dans un lieu adapté) en diminuant les surfaces par personne. Il serait alors intéressant de raisonner en performance carbone, soit en tonnes de CO² émis par personne logée. L’idée phare est de créer des logements plus petits mais plus adaptés aux usages des habitants. En résumé, il s’agit bien de réinventer l’usage des bâtiments. L’urgence aujourd’hui : retrouver la relation avec les utilisateurs, loger le plus grand nombre, mieux habiter.
Mais, quoi qu’il en soit, cinquante fois moins de ressources matérielles sont nécessaires pour rénover 1 m² de logement que pour construire 1 m² de logement neuf. Il est donc nécessaire de développer parallèlement le réemploi et la réutilisation. Dès lors, il faudra bien sûr réfléchir aux moyens d’adapter les logements d’hier à une population vieillissante.
L’efficacité : vers des bâtiments réversibles très basse consommation
Le premier objectif est que demain tous les bâtiments neufs comme existants soient des bâtiments très basse consommation : bien isolés, munis d’équipements techniques à haute efficacité énergétique. Une rénovation massive du parc existant s’impose donc.
D’autre part, il s’agit également d’intégrer l’usage temporaire d’un immeuble dans sa conception ou rénovation. L’objectif est alors d’anticiper la réversibilité d’usage, quel que soit le programme d’origine. Un bâtiment : plusieurs vies. Les bâtiments devront avoir une capacité à être transformable ou réversible pour permettre leur adaptation aux évolutions : cycles immobiliers rapides, variabilité des compositions familiales, télétravail, vieillissement.
Le défi ici est de réussir à développer des métriques du potentiel de réversibilité ou de transformabilité. L’idée est d’optimiser la ré-employabilité future, la démontabilité des composants, de développer des matières recyclables comme l’acier et l’aluminium. Un indicateur du taux de matière recyclée est d’ailleurs prévu dans le cadre de la loi ELAN.
Selon l’ADEME, le taux d’équipement des logements en climatiseurs pourrait passer de 5% en 2021 à 50% en 2050. Comment intégrer dès maintenant nos exigences en termes de confort estival tout en limitant le recours aux climatiseurs et donc notre consommation d’énergie ?
Les énergies bas carbone : concevoir un système énergétique efficient
Tous les acteurs de la construction en ont pris conscience : pour atteindre l’objectif zéro carbone, les bâtiments devront réduire drastiquement leur consommation d’énergies fossiles et favoriser les énergies sans combustion : solaire, thermique, photovoltaïque, éolien, hydraulique, nucléaire… Mais l’énergie renouvelable étant intermittente, il faudra prévoir dès la conception des bâtiments une seconde source d’énergie, si possible locale, ou un système de stockage. Au niveau des quartiers, la chaleur produite par la climatisation pourrait servir à chauffer l’eau par exemple.
Une des clés pour atteindre les objectifs de neutralité carbone est aussi d’optimiser l’efficacité énergétique grâce aux caractéristiques du bâtiment. Par exemple, il est possible de déployer des dispositifs d’ombrage et de canalisation du vent pour bloquer le soleil et permettre une ventilation naturelle dans les immeubles de grande hauteur.
Le stockage du carbone : utiliser le potentiel des bâtiments durables
Les bâtiments neufs devront prendre en charge une part importante du stockage carbone nécessaire à la compensation des émissions liées à leur construction. Le principe revient à stocker le carbone émis en exploitant le potentiel des bâtiments durables. Concrètement, une des voies possibles est d’utiliser des matériaux biosourcés en structure, en façade, en revêtement intérieur ou isolant car ces matériaux issus de la biomasse d’origine animale ou végétale ont le double avantage d’être des régulateurs thermiques et hygrométriques et de pouvoir stocker temporairement le carbone. Mais pour compléter cette approche qui seule reste insuffisante, il faudrait également re-végétaliser les parcelles artificialisées et gérer la fin de vie du béton pour qu’il puisse réabsorber une part significative du carbone émis lors de sa fabrication.
Aller vers des bâtiments neutres en carbone et à matérialité allongée est un vrai défi pour les acteurs de la construction. De plus en plus de professionnels conçoivent aujourd’hui des constructions écologiquement vertueuses. L’architecture durable est un chantier ouvert à l’expérimentation, une démarche globale intégrant qualité de vie, performance économique et respect de l’environnement, de nouveaux modes de construction qui exigeront parallèlement le développement d’outils d’accompagnement des différents acteurs. Afin d’approfondir ce sujet, nous vous invitons à lire le mois prochain l’interview de l’architecte Philippe Madec, pionner en architecture écoresponsable, Docteurs honoris causa de l’Université de Liège, Membre Titulaire du Chapitre Europe du « Club de Rome » et lauréat de nombreuses distinctions
Photographie : (c) Martchan